Les faits de déclarations fiscales incomplètes :
Une société avait fait appel à un expert-comptable entre 2006 et 2015 afin d’établir ses déclarations fiscales obligatoires mais aussi dans le but qu’elle puisse se faire conseiller en matière fiscale.
Cependant, deux ventes immobilières assujetties à la TVA n’ont pas été déclarées lors du premier et deuxième trimestre 2013.
L’administration fiscale a alors réclamé à la société le paiement d’intérêts moratoires (pénalité de retard) avec une majoration de 40% pour manquement délibéré en vertu des articles 1727 et 1729 du code général des impôts.
La société a assigné en responsabilité l’expert-comptable pour faute contractuelle.
La Cour d’appel de Pau, par un arrêt du 29 octobre 2019, a débouté les demandeurs au motif que les deux opérations en cause relevaient de la mission complémentaire facultative de conseil de l’expert-comptable car elles dépassaient l’activité courante de la société immobilière.
Dès lors l’expert-comptable n’était pas tenu d’effectuer ces déclarations mais aurait dû uniquement mettre en garde son client sur les délais à respecter en matière de déclaration fiscale obligatoire.
Les déclarations litigieuses ne rentreraient donc pas dans le cadre de la mission principale de l’expert-comptable.
Ce dernier ne serait alors pas tenu d’une obligation de résultat.
La société immobilière a formé un pourvoi en cassation.
Les enjeux de la décision
Faut-il distinguer entre les déclarations fiscales portant sur l’activité habituelle du client et celles portant sur une activité exceptionnelle ?
La solution rendue traite de la distinction faite par la Cour d’appel entre les déclarations fiscales obligatoires relatives à l’activité habituelle et celles relatives à une activité exceptionnelle.
En effet la lettre de mission, qui contient la volonté claire et précise des parties, ne précisait pas une telle distinction.
Elle prévoyait uniquement une mission principale de l’expert-comptable qui était celle d’établir les déclarations fiscales obligatoires et une mission complémentaire qui était celle de conseil en matière fiscale.
Aucune mention ne faisait état de deux « catégories » de déclarations fiscales obligatoires.
Or, on le sait, seul ce qui entre dans la lettre de mission peut engager la responsabilité contractuelle de l’expert-comptable. Le préjudice subi s’analyse alors en une perte de chance (Cass. Com. 29 nov. 2011, n°11-10.933).
Quel est l’intérêt de la distinction entre les déclarations fiscales portant sur une activité habituelle et celles portant sur une activité exceptionnelle ?
La jurisprudence est ferme quant à la responsabilité de l’expert-comptable s’agissant des déclarations fiscales : il pèse sur ce dernier une obligation de résultat.
Or, en invoquant cette distinction entre deux types de déclarations fiscales, l’expert-comptable cherchait à montrer que les deux déclarations fiscales obligatoires, qui n’ont pas été effectuées par ses soins, se rattachent à sa mission complémentaire de conseil en matière fiscale.
Il justifie cette position en affirmant que ces déclarations porteraient sur une activité exceptionnelle du client.
Cela lui permet alors de soutenir qu’il était tenu non pas d’une obligation de résultat au titre de sa mission principale mais d’une obligation de conseil c’est-à-dire d’une simple obligation de moyen.
Le manquement à cette obligation de moyen serait bien plus complexe à établir, car il s’agira de prouver que l’expert-comptable n’aurait pas fourni les conseils et mises en garde nécessaires aux besoins de son client.
La solution rendue
La condamnation ferme de la distinction entre déclarations fiscales relatives à l’activité habituelle et celles relatives à l’activité exceptionnelle
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel au titre de l’obligation pour le juge « de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ».
Elle fonde son raisonnement sur le fait que la lettre de mission attribuait à l’expert-comptable la mission de prendre en charge l’ensemble des déclarations fiscales obligatoires. Puisqu’aucune distinction n’avait été faite entre des « déclarations relatives à l’activité habituelle (…) ou à des opérations exceptionnelles », la Cour de cassation affirme qu’il n’y avait pas lieu de relever une telle dichotomie.
Comment la solution s’inscrit dans le droit positif ?
Cette solution s’inscrit dans le cadre d’un abondant contentieux en matière d’engagement de responsabilité des experts – comptables.
En effet conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, la responsabilité de l’expert-comptable est engagée s’il a été constaté un manquement à ses missions telles que définies dans la lettre de mission.
Or l’article 1192 du code civil interdit d’interpréter les clauses claires et précises d’un contrat, sous peine de dénaturation.
C’est pourquoi la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel au visa du principe selon lequel « le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ».
La Cour de cassation se prononce pour la première fois sur l’étendue de la responsabilité de l’expert-comptable en matière de déclarations fiscales obligatoires
Par l’arrêt du 6 février 2007, la Cour de cassation en sa chambre commerciale était venue préciser que l’expert-comptable en charge d’effectuer les déclarations fiscales obligatoires doit s’assurer, compte tenu des informations qu’il détient sur la situation de ses clients, que les déclarations sont conformes en tout point aux exigences légales.
Il s’agit d’une obligation de résultat.
Cependant, aucun arrêt n’était encore venu préciser l’étendue de la responsabilité de l’expert-comptable lorsque celui-ci s’engage à établir les déclarations fiscales obligatoires de son client.
C’est donc un arrêt inédit que la Cour de cassation rend en l’espèce, l’expert-comptable s’engage, en l’absence de distinction présente dans la lettre de mission, à effectuer la totalité des déclarations fiscales obligatoires, que celles-ci portent sur une activité habituelle ou exceptionnelle.
L’étendue de la responsabilité de l’expert-comptable est donc conditionnée aux engagements prévus dans la lettre de mission signée par les parties.
Les conséquences pratiques
En pratique, il convient de retenir l’apport majeur de cet arrêt : dès lors qu’un expert-comptable s’engage dans une lettre de mission à établir les déclarations fiscales obligatoires de son client, il est tenu d’une obligation de résultat s’agissant des opérations habituelles ou exceptionnelles sous peine de voir sa responsabilité contractuelle être engagée.
La distinction entre ces deux opérations n’a pas lieu d’être.
Les conséquences financières peuvent être importantes en cas de mauvaises déclarations, raison pour laquelle l’expert-comptable est obligatoirement assuré selon l’article 4 du décret n° 81-445 du 7 mai 1981.
Ce décret précise que l’assurance s’applique à l’ensemble des « réclamations présentées entre la date de prise d’effet et celle de la suspension ou de la résiliation du contrat et se rapportant à des faits survenus pendant la période de validité du contrat ou se rapportant à des faits antérieurs à la prise d’effet du contrat à la condition qu’ils aient été ignorés de l’assuré à cette date ».
Cependant, les experts-comptables doivent être particulièrement attentifs quant à l’étendue de leur assurance.
En effet, la Cour de cassation est déjà venue affirmer la licéité de la clause qui prévoit le « versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages trouvant leur origine dans un fait qui s’est produit durant cette période ». (arrêt 1ère civ 12 janvier 1999 ; n° 96-18.858)
Dans ce cas, tous les faits antérieurs à la conclusion du contrat d’assurance ne seront pas pris en charge.
En somme, les experts-comptables au regard de l’étendue de leur responsabilité en matière de déclarations fiscales obligatoires doivent donc être particulièrement vigilants concernant leur contrat d’assurance.