Le statut de l’agent commercial connaît depuis quelques années un essor fulgurant en raison de l’externalisation des services commerciaux, assorti d’un régime éminemment protecteur inséré par la loi n°91-593 du 25 juin 1991, en transposition de la directive 86/853/CEE du 18 décembre 1986 harmonisant la législation des Etats-membres relative aux agents commerciaux.
Les articles L.134-1 à L.134-17 du Code de commerce prévoient le régime applicable au contrat d’agence commerciale. L’article L.134-1 du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur du 21 septembre 2000, dispose plus particulièrement que “L’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanent, de négocier et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux”.
Quelles sont les conditions de qualification du contrat d’agence commerciale ?
L’indépendance de l’agent commercial
Le contrat d’agence commerciale est un contrat de mandat liant un mandataire indépendant à un mandant. L’indépendance de l’agent commercial est intrinsèque au contrat d’agence (sans quoi le statut de l’article L.134-1 du Code de commerce ne peut s’appliquer (Cass, com. 10 juillet 2007, 05-19.373)) offrant ainsi la possibilité au mandataire indépendant d’exercer une activité économique autre, pour le compte d’un autre mandant ou pour son propre compte à condition que cette activité demeure accessoire à l’activité principale (Cass, com. 29 octobre 1979, n°78-14.226).
L’agent commercial démarche et développe librement la clientèle de son mandant la plupart du temps sur un territoire exclusif. Même si tenu d’agir conformément aux clauses d’objectifs régulièrement insérées au sein du contrat de mandat, ce dernier jouit d’une latitude pour atteindre ces objectifs, pouvant même recruter des sous-agents commerciaux.
Par ailleurs, en vertu de l’inhérente indépendance du statut offert à l’agent commercial, ce dernier dispose de la faculté de représenter d’autres mandants, à moins que ces derniers ne soient concurrents au mandant, auquel cas l’autorisation de ce dernier est requise (article L.134-3 du Code de commerce).
La nature civile du contrat d’agence commerciale
Par principe, l’agent commercial doit être inscrit au registre du commerce et des sociétés (Cass. com. 21 juin 2016, n°14-26.938) ainsi qu’au registre spécial des agents commerciaux. Cependant, la première n’a aucune incidence sur la qualification du contrat d’agence commerciale, les actes civils de représentation n’étant pas accessoires à une activité commerciale (Cass. Com. 28 octobre 1980). Ainsi, l’agent commercial ne dispose pas d’une clientèle personnelle et ne revêt pas la qualité de commerçant (Cass. com. 26 février 2008 n°06-20.772). Or, le contrat de mandat d’intérêt commun peut être de nature mixte lorsque le mandant est commerçant ou exerce son activité sous la forme d’une société commerciale (Cass. Com. 24 octobre 1995).
Le pouvoir de négociation de l’agent commercial
A la lecture de la lettre de l’article L.134-1 du Code de commerce et de la directive 86/853/CEE, le pouvoir de négociation de l’agent commercial désigne l’accomplissement de tous les actes préparatoires à la conclusion du contrat et toutes les prestations nécessaires à la recherche et au développement d’une clientèle au profit du mandant. Le rôle de l’agent s’étend sur l’ensemble de la période de négociation, de la prospection de nouveaux partenaires à l’élaboration sur mesure des contrats finaux.
Une nouvelle interprétation jurisprudentielle des conditions de qualification
Si l’indépendance de l’agent commercial et la nature du contrat n’évoluent pas fondamentalement, la notion de pouvoir de négociation accordé à l’agent commercial connait une mutation récente. Certains débats de longue date portant sur l’interprétation de cette idée de négociation sont désormais clos, notamment depuis une prise de position par la CJUE, dans son arrêt Trensdetteuse du 4 juin 2020 (CJUE, 4 juin 2020, aff. C-828/18).
Anciennement, il convient de rappeler que l’agent commercial devait être pourvu d’un pouvoir de négociation assez large, notamment dans la conception des contrats conclus pour autrui. Ainsi, il était d’usage de n’accorder le statut d’agent commercial au seul bénéficiaire de la faculté de modifier les clauses des contrats conclus pour le donneur d’ordre, et plus spécifiquement, le prix.
La position adoptée par la CJUE en 2020 s’avère contraire à la conception beaucoup plus restrictive qu’avait jusqu’alors observée la Cour de cassation. En effet, elle affirme, en éclairant le sens de l’article 1 de la directive de 1986 (86/853/CEE), que l’agent commercial ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont il assure la vente pour le compte du commettant.
En ce sens, le revirement est vite opéré par la Cour de cassation, dans un premier arrêt de décembre 2020 (Cass, com. 2 décembre 2020, 18-20/231), par lequel cette dernière s’aligne avec la position de la juridiction européenne. Aujourd’hui, le critère retenu en matière de négociation n’est donc plus exclusivement lié à l’observation d’un pouvoir d’agir ou non sur les prix. Il relève davantage d’enjeux de constitution de clientèle, de développement des opérations avec celle existante, passant tant par l’information, la discussion ou le conseil, vers la conclusion de transactions. Indépendante du pouvoir d’agir effectivement sur les prix, la nouvelle position plus accueillante pour la qualification de l’agence commerciale reflète également mieux les réalités pratiques. En outre, la détermination du prix, autrefois principal élément de détermination du statut, est basculé au second plan, presque accessoire face à ces nouvelles considérations.
La nouvelle position jurisprudentielle est par la suite confirmée, notamment par un arrêt de mai 2021 (Cass. Com. 12 mai 2021, n°19-17.042), qui reprend cette nouvelle conception,tout en l’élargissant une nouvelle fois. En ce sens, la Cour expose que le pouvoir de négociation peut être rencontré de façon satisfaisante et ce même lorsque l’agent ne dispose d’aucune marge de négociation sur les clauses du contrat conclu pour son donneur d’ordre. Ainsi, la notion de négociation semble relever de plus en plus de la faculté de constituer, développer et entretenir une clientèle, plus que d’élaborer des contrats sur mesure pour le commettant. La Cour consolide cette interprétation en considérant que “quoi qu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ses produits ou services ou les conditions des contrats conclus par le mandant”, le mandataire bénéficie du statut d’agent commercial (Cass. com. 16 juin 2021, n°19-21.585), solution davantage conforme aux réalités économiques.
L’élargissement n’est toutefois pas sans limite, puisque la Cour rappelle que la qualification de l’agent commercial ne saurait être observée sans un réel pouvoir de représentation permettant d’engager le mandant (Cass. com. 10-2-2021 no 19-13.604 F-D).
Quelles sont les conséquences pratiques des évolutions en matière de qualification ?
Fondamentalement, l’acception progressive du critère de négociation plus largementque la faculté de négocier les clauses présentes au sein du contrat conclu pour le commettant entraine automatiquement un élargissement du statut. En ce sens, il est désormais plus simple de revendiquer la qualité d’agent commercial.
La prise de position par la CJUE renforce indirectement la cohérence du régime de l’agence commerciale, qui pouvait présenter jusqu’alors d’importantes disparités au sein de ses Etats. La volonté de réguler de potentiels clivages et concurrences entre ses membres vise à supprimer les perturbations dans l’établissement de tels contrats de représentation. La portée de cette décision est d’autant plus opportune que le statut d’agent commercial, très protecteur pour son bénéficiaire, était trop souvent écarté ou contourné en raison de telles conditions de qualification restrictives.
Pour rappel, la qualification – ou requalification – du statut d’intermédiaire par celui d’agent commercial entraîne d’importantes conséquences financières. En effet, d’abord sur des enjeux de rémunération, le mandant verse, en vertu de l’article L.134-5 du Code de commerce, un montant fixé en fonction d’une commission calculée à partir du chiffre d’affaires de l’entreprise (ou à défaut de manière raisonnable en tenant compte de l’ensemble des éléments ayant trait à l’opération). S’agissant ensuite de l’évolution du contrat, et notamment de sa terminaison, qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée, le contrat d’agence commerciale offre à l’agent une indemnité compensatrice à l’échéance de son terme ou lors de la résiliation du contrat (Cass. Com. 3 octobre 2006, n°05-10.127), en réparation du préjudice subi par l’agent commercial en raison de la perte de la source de ses revenus. En outre, la cessation du contrat d’agence commerciale ouvre droit à réparation du fait de l’inaptitude physique du mandataire indépendant, ou à ses ayants-droits en cas de décès de celui-ci.