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MAITRE D’OEUVRE : Dépassement de budget et inefficacité de la clause limitative de responsabilité lorsque la faute concours à l’entier dommage

La clause prévoyant que l’architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération ne limite pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage.

Viole l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la cour d’appel qui, pour limiter l’obligation à réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages, retient que la clause d’exclusion de solidarité n’est privée d’effet qu’en cas de faute lourde et que l’architecte n’est tenu qu’à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages, alors qu’il résulte de ses constatations que la faute de l’architecte est à l’origine de l’entier dommage.

Cass. Civ. 3e, 19 janv. 2022 – Pourvoi n° 20-15.376

Par acte du 18 mars 2009, Mme [O] a vendu un appartement à M. et Mme [B]. Ceux-ci ont confié à M. [E] (l’architecte), assuré auprès de la MAF, la maîtrise d’œuvre de la rénovation de ce bien.

Se plaignant de malfaçons et d’imprévisions ayant, notamment, entraîné un dépassement du budget, M. et Mme [B] ont assigné l’architecte et la MAF en indemnisation de leurs préjudices.

Mme [O], se plaignant, quant à elle, de dommages provenant de l’appartement vendu et causés aux biens dont elle était restée propriétaire, a assigné M. et Mme [B], qui ont appelé l’architecte en garantie. Les instances ont été jointes. L’architecte a été placé en liquidation judiciaire.

1°) Sur le grief lié au dépassement du budget global

M. et Mme [B] font grief à l’arrêt de rejeter leur demande en paiement formée au titre de leur préjudice lié au dépassement du budget global du chantier, alors « que, selon l’article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.

En l’espèce, sans la faute de M. [E], les époux [B] n’auraient pas été confrontés à la nécessité de souscrire un emprunt pour faire face à des travaux imprévus ; qu’ils auraient pu, dès l’origine, décider en connaissance de cause d’entreprendre ce chantier, de recourir ou non aux entreprises et intervenants qui leur étaient proposés, et pour un coût qu’ils auraient pu accepter ou refuser en connaissance de cause, autant de données dont ils ont été frustrés en raison de la faute de l’architecte ; qu’en exonérant celui-ci de toute responsabilité aux motifs que le surcoût qu’il lui était demandé de prendre en charge aurait dû « nécessairement être payé » par les exposants, affirmation portant sur un fait par hypothèse incertain et donc insusceptible d’affecter le lien de causalité direct qui existait entre le dommage résultant du dépassement de budget et la faute de l’architecte, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La cour de cassation rejette le moyen et approuve la cour d’appel qui a retenu que, si le projet de l’architecte avait été correctement réalisé, M. et Mme [B] auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises de son évaluation. Elle a pu en déduire qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le préjudice lié à ce surcoût et les fautes de l’architecte, en dehors des déconvenues éprouvées par les maîtres d’ouvrage du fait des plus-values en cours de chantier, dont elle a souverainement fixé la réparation.

2°) Sur la solidarité de l’architecte avec les entreprises, lorsque par sa faute, il contribue à l’entier dommage

M. et Mme [B] font grief à l’arrêt de fixer leur créance au passif de l’architecte à la somme de 67 777,06 euros seulement avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013 et de condamner la MAF à payer cette somme, alors «que l’architecte qui manque à son devoir de conseil en omettant d’exiger les plans d’exécution de leur lot par les entreprises et de définir l’objet du marché revenant à chacune d’elles, ne peut se décharger des conséquences de sa carence en invoquant des fautes d’exécution de ces mêmes entreprises, fautes dont l’exécution de sa mission avait précisément pour objet d’empêcher la survenance.

En l’espèce, la cour d’appel, pour chacun des lots affectés de malfaçons, a retenu que « les désordres sont imputables pour moitié à une faute de l’entreprise qui n’a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l’art (et) à l’architecte qui en s’abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l’entreprise, et en n’exigeant pas de l’entreprise un plan d’exécution, n’a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l’ouvrage » ; qu’en jugeant que l’architecte ayant commis un tel manquement était fondé, dans ses relations avec les maîtres d’ouvrage, à se prévaloir de la faute d’exécution commise par les entreprises, et en décidant en conséquence que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l’entreprise en raison du défaut d’exécution, et de 30 % pour l’architecte en raison de l’impréparation du projet, la cour d’appel a violé les articles 1231-1 et 1793 du code civil. »

Au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa version alors applicable, la cour de cassation rappelle que chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l’étendue de leur obligation à l’égard de la victime du dommage.

L’arrêt relève que le contrat de maîtrise d’œuvre contient une clause prévoyant que l’architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération.

Une telle clause ne limite pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage.

Pour limiter l’obligation à réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages, l’arrêt retient que la clause d’exclusion de solidarité n’est privée d’effet qu’en cas de faute lourde et que l’architecte n’est tenu qu’à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que les dommages avaient été causés par la faute de l’architecte, qui s’était abstenu de préparer un projet complet définissant précisément les prestations des locateurs d’ouvrage et d’exiger d’eux des plans d’exécution, ce dont il résultait que la faute de l’architecte était à l’origine de l’entier dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

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